Ce qui devait arriver arriva (Feat Abel)[Terminé]

Encore un matin radieux! Ça me donne envie de vomir! ~
J'imaginais bien la vendeuse balancer cette phrase en ouvrant le store de la boutique ce matin-là. Elle avait vraiment la même tête que cette vieille sorcière du film d'Halloween préféré de cette petite peste qu'était mon ancienne maîtresse, Camille. A croire que c'est juste pour que je me rappelle d'elle. Des beaux jours que j'ai vécu là-bas... A l'époque où j'acceptais encore d'être un bon majordome et où je faisais mon travail comme on me le demandait en me contentant de ce que je pouvais avoir. Ah, ce que j'étais jeune et con à l'époque! Enfin. Je me répétais en pensée cette phrase chaque mardi et jeudi matin, quand la Sorcière faisait l'ouverture. Je me moquais de tout le monde, cela m'occupait un petit peu.
Contrairement à ce qui aurait pu être attendu pour un hybride plante tel que moi, la minuscule cage qui me servait d'habitat de trouvait dans l'avant-dernière partie de la boutique. Plutôt vers le fond. Loin des rayons du soleil.
Mais je faisais avec. Au moins ça m'évitait de prendre les rayons du soleil droit dans le visage quand la vieille ouvrait les stores! Je pouvais dormir plus longtemps, c'était pas plus mal. J'étais rangé là, entre les hybrides "un peu revêches" et les "grosses brutes qu'on ne vendra jamais". Là était ma place. J'avais une trop faible carrure pour passer avec les brutes mais j'étais tout de même trop rebelle pour être rangé avec les "petites frappes qui se sont fait jeter de chez eux parce qu'ils ont volé un bonbon". A mi-chemin,
donc, mais tout de même invendable. Je savais bien pourquoi le patron me gardait en boutique: ma race très rare compensait mon sale caractère!
Enfin bref. Les heures passaient, comme d'habitude, et les humains avec! Ils défilaient, s'arrêtaient devant des cages, discutaient, riaient, des gosses pleurnichaient... J'aime pas les gosses. J'étais bien content de ne pas plaire à cette clientèle. Ils préféraient une fille, qui ressemblait à leur maman, en plus jeune et plus jolie!
La veille, j'avais fait peur à un gamin qui me prenait pour une fille. Pourtant, il n'y avait pas photo. Je portais un jeans troué de faible qualité, le genre qu'on récupère dans une friperie un peu miteuse! J'avais des baskets un peu vieillottes et un pull noir. Un T-shirt et un blazer aurait été plus sympa mais apparemment on ne prenait pas trop le temps d'habiller les hybrides qu'on pense ne pas vendre! Comble du comble, on m'avait prit mes beaux gants en cuir. Du coup, je gardais mes mains dans mes poches.
Si seulement je pouvais m'enfuir, pensais-je. Ce ne serait pas bien compliqué, une fois dehors, de passer pour un humain... Mais pour l'instant j'étais coincé là... Juste quand je pensais qu'un nouveau pigeon serait le bienvenu, une voix me tira de mes rêveries. Je remarquais alors la jeune fille aux cheveux roux -qui semblaient plus rouge grâce à la magie de mes cônes bleus défaillants- qui se tenait devant ma cage. Curieux. Elle disposait de deux oreilles animales sur le haut de la tête. Sans doute une renarde.
Cette fille qui ne payait pas de mine était donc une noble? Bizarre, nous n'avions pas eu vent de la venue d'une personne d'une telle importance à la boutique aujourd'hui.
En cherchant dans mes souvenirs, je me rappelais avoir entendu parler d'une famille de nobles renards lors d'une conversation alors que je servais encore Marie-Camille.
La demoiselle se permit sans la moindre délicatesse de me demander quel genre d'hybride j'étais pour, je cite, avoir "des cheveux pareils". Un problème avec mes cheveux? ... Ah oui, c'est vrai, je ne les ai pas coiffés ce matin.
Je ne dois pas vraiment avoir une bonne tête... Mais bon, si c'était une fille de bonne famille elle ferait preuve de plus de tact. De toute façon, des petites pestes gosse de riche, j'ai assez donné! Je devais me débrouiller pour la faire fuir.
-Si je te disais "un horriiiiible monstre" ça te ferait fuir? Fis-je en agitant ma main rougeâtre tachetée devant les barreaux. Je pourrais te demander ce que t'es, toi, pour être aussi rustre et ne pas te trouver dans la boîte d'à coté, mais la réponse ne m'intéresse pas.

J'avais espéré que ma réponse ne satisferait pas la noble, qu'elle s'offusquerait et s'en irait en me lâchant un soupir plein de mépris. Je m'étais trompé. Et cela ne faisait pas mon affaire... Enfin, j'avais peu de fois l'occasion de monter au niveau supérieur de mon potentiel destructeur! Au moins, j'allais pouvoir m'amuser un petit peu. A votre avis, combien de temps elle allait réussir à me tenir tête avant de lâcher prise et de décider que j'étais vraiment trop bête et méchant pour elle? Je prends les paris!
Manifestement, elle était "décidée à parler encore un peu avec moi". Elle allait être servie. Pas que j'avais envie de causer, mais une chose était sure: cette envie allait lui passer bien vite!
-Tu devrais sortir te trouver des amis au lieu de vouloir discuter avec des hybrides en cage. C'est que j'ai un quota de petites filles à terroriser par jour, moi, et tu me gênes. Lançais-je, tout naturellement.
Il était vrai que j'aimais bien effrayer les enfants. Des fois ils me donnaient leur goûter en sacrifice pour que je ne les manges pas! Que c'est con, un gamin... Et ça me profitait beaucoup parce que si je devais me nourrir uniquement de la pâtée informe et sans saveur que l'on nous sert au quotidien dans cette maudite boutique je deviendrais vite complètement cinglé! Qu'on me donne de la viande,
des légumes, du sucre, de la vraie bouffe! Heureusement que ces quelques pains au chocolat et autres gâteaux que je piquais à des gamins me permettaient de garder une certaine variété alimentaire... Un gamin, c'est comme une chaise, mais ça me sauve la vie!
Il fallait que j'en étales encore une couche, et une bonne, si je voulais la faire fuir définitivement,
je m'en doutais, mais pour l'instant j'attendais sa réaction.

Était-elle complètement bouchée ou juste idiote? Le message était clair pourtant: barre-toi. Je ne comptais pas laisser cette petite princesse mal élevée signer des papiers qui lui donnaient officiellement tous les droits sur moi. J'avais assez donné en tant que majordome de lady casse-pieds! Ce n'était pas demain que j'allais accepter de nouveau d'appartenir à ce genre de personne. De toute façon, je n'appartenais pas aux humains: je ne ferais que ce que j'ai envie, pas question que je devienne subitement gentil et obéissant. Même si elle était assez téméraire pour acheter un hybride comme moi, elle ne mettrais pas longtemps à abandonner et à me ramener à l'animalerie pour demander le remboursement! La noble répondit à mon "conseil" en m'assurant que des amis ne lui seraient pas nécessaire avec un hybride comme moi. Ma parole, mais c'est qu'elle s'accroche! Elle ajoutait aussi que je serais mieux dehors pour terroriser les enfants... Elle n'avait pas compris que je ne le faisais pas que pour m'amuser mais aussi pour me maintenant en vie! Enfin... Elle marquait un point: je serais mieux dehors. Je ne suis pas une plante de salon, moi, j'ai besoin d'être à l'air libre de temps en temps... Cela commençait à se ressentir sur mon moral, je n'étais pour ainsi dire pas au mieux de ma forme! Elle marquait encore un point en affirmant que j'avais l'air triste... La peste, elle gagnait du terrain!
-Mais je n'ai aucune envie de sortir, en tout cas pas avec toi! Enfin, essaie toujours, ça me donnera une occasion de fuir! Fis-je, amusé. Tu ne serais pas la première ni la dernière à essayer... Il y en a un qui est à l'hôpital, d'ailleurs, dans une jolie chambre toute blanche avec des murs tout mou, si tu vois ce que je veux dire...

Je n'aimais pas trop la tournure que prenaient les événements. D'abord la noble m'avait expliqué qu'elle avait eu un hybride avant moi, et qu'il n'était pas bien docile. D'ailleurs il s'était enfui et elle n'avait même pas essayé de le retrouver, ... Donc si à mon tour je venais à fuir elle n'en aurait que faire! Je trouvais presque cela amusant! "Pas facile à vivre", c'était un euphémisme! Si elle croyait que j'allais me contenter d'être un peu chiant elle se mettait le doigt dans l'oeil! Non, je prenais l'idée de battre le record du précédent hybride comme un défi. Voilà qui me donnait plus envie de me faire acheter: il y avait un concours, une concurrence à mener... Quelque chose d'au moins un peu amusant!
Je ne répondis rien, laissant la rousse poursuivre son monologue. La suite me fit toutefois changer d'avis à nouveau. Elle disait ne pas chercher un hybride pour qu'il lui serve de majordome -cela tombait bien, j'avais assez donné-, mais pour mettre de l'ambiance chez elle. La pauvre princesse, elle s'ennuyait dans sa jolie tour! Mais je n'étais pas un bouffon, moi, je ne comptais pas passer mes journées à amuser la galerie! Je prenais ça comme une insulte, je préférais encore majordome que fou du roi.
- Si tu veux un bouffon, c'est toi qui est mal tombé! Répondis-je, comme pour me moquer. Mais achètes-moi, vas-y! J'ai super envie de vivre la vie de château. Je passerais mes journées à me la couler douce, je ferais pas la vaisselle, je laisserais traîner mon linge sale partout et quand j'en aurais assez de ta face je m'en irais comme je suis venu! Alors, t'es sure d'avoir trouvé ton bonheur?
Terminant ma phrase, je me pris à bailler. Il y avait longtemps que j'aurai du commencer ma sieste journalière! Et puis cette conversation tournait en rond,
je commençais sincèrement à la trouver ennuyeuse.

Et voilà, j'avais raté mon coup. La noble interpella le vendeur et me voilà hybride d'une petite peste de renarde maudite! J'espérais au moins qu'elle ne m'avait pas menti et que j'aurais l'espace que je voudrais pour m'amuser! J'allais me comporter comme ce que j'étais: un parasite. Le vendeur ouvrit la cage, je sortais sans faire d'histoire -je lui aurais bien lancé mon pied à la figure en feignant de ne pas l'avoir fait exprès mais j'étais encore sous la responsabilité de l'animalerie-. Le temps que je me remette à l'aise sur mes jambes, la rouquine avait fini de remplir les papiers d'adoption. Je devinais qu'elle les avait à peine survolé et pas lus en détail. J'étais à présent sa propriété... Et elle allait en avoir pour son argent!
Je remettais mes gants tout en me tenait prêt à la suivre lorsqu'elle me demandait si j'avais besoin de vêtements ou si nous pouvions rentrer directement. Je n'avais que ce que je portais sur moi mais j'avais aussi et surtout besoin d'une bonne douche! La solution «retour maison» me semblait être la meilleure...
- Faudra en acheter un jour ou l'autre mais pour l'heure j'ai surtout besoin d'une douche.
La rafflesia était une plante à l'odeur fortement désagréable. Je n'avais pas hérité de son potentiel puanteur -contrairement à l'un de mes frères- mais l'idée de savoir que je pourrais sentir mauvais me répugnais, aussi je passais un temps fou à me laver.