World isn't as big as it seems... | Ft. Siegfried

Qu'est-ce qui avait bien pu me pousser à revenir dans le coin? Depuis que j'avais été acheté par Lavande, la curieuse gameuse aux cheveux bleus, je n'avais pas vraiment pris le temps de profiter de ma liberté... Et aujourd'hui, pour une fois que je sortais, c'était ici que je me retrouvais? Quelle ironie! Il n'y avait pas vraiment d'explication à cela, d'ailleurs... Si ce n'était la fatalité. Ce matin, je m'étais réveillé aux premières lueurs du jour sur le canapé du salon, des restes de chips au coin de ma bouche sèche et pâteuse, les cheveux en pagaille et les jambes emmêlées dans un plaid maculé de poils de chien. Marathon-série qui s'était fini en sieste? Sans doute. Encore. Je sentais le renfermé, l'ennuyeux, la défaite sociale. J'avais commencé par prendre une douche, me coiffer, limer les cornes apparentes, mettre un t-shirt propre et un jeans à peu près propre, puis j'avais enfilé un sweat et j'étais sorti. Sans but précis. Juste pour sortir. J'avais marché de longues minutes sans faire attention où j'allais et j'avais atterrit là. Cet endroit maudit semblait lié à moi, encré profondément dans mon code génétique. Je jurais et m'apprêtais à tourner les talons lorsqu'un visage familier m'apparaissais derrière la vitrine. Un peu en retrait, j’apercevais une tête blonde dotée d'yeux bleus comme le ciel... Était-ce bien elle? Je devais entrer pour en avoir le coeur net! J'enfonçais ma capuche sur ma tête, passait la porte du magasin et fonçait en direction de la cage.
- Adelheid, c'est vraiment toi! Fis-je, si étonné que j'y mis peu être un peu trop d'entrain.
Quelques visages se tournaient dans ma direction, je me faisais tout petit pour ne pas me faire remarquer d'avantage.
- Désolé, j'étais surpris, mais en vrai je ne suis pas particulièrement content de te revoir ou quoi. Je pensais que tu serais la première à trouver un maître: t'es une fille, plutôt jolie, et tu sais te tenir, tout ça... Pourtant je suis dehors avant toi.

Quand j'y repense avec le recul, je me demande toujours pourquoi je suis entré dans cette foutue boutique. Certes, j'avais reconnu cette fille de l'autre coté mais nous étions tout a plus des connaissances... Il y avait dans le rayon où je me trouvais lorsque j'étais encore retenu là-bas des hybrides que je connaissais tout autant qu'elle et pourtant je ne m'arrêterais pas pour les saluer si je les croisais dans la rue! D'ailleurs, ce n'était pas mon genre du tout d'aller discuter avec les gens comme ça... Je préférais le silence, et qu'on me laisse tranquille! Non, je ne me reconnaissais pas dans cette situation. Je supposais que c'était la surprise qui m'avait fait agir mais là-encore il n'y avais en fait pas grand chose de surprenant à voir une hybride dans une animalerie! Dans tous les cas j'étais entré et je le regrettais déjà lorsqu'Adelheid me saluait de sa voix parfaitement neutre telle celle d'un de ces robots automates qu'on trouve dans les magasins... Elle avait bien paru surprise tout à l'heure, mais cela n'avait même pas duré une seconde entière! Elle m'expliquait, toujours sans intonation me permettant de déceler quelque émotion en sa personne, qu'elle ne pensait plus me revoir puisque je lui avais dit de ne plus me déranger... Elle s'en souvenait, donc! Et elle s'y serait manifestement tenue si je n'étais pas venu vers elle... Elle était vraiment d'une docilité effrayante -qui par ailleurs me rappelait à ma propre condition et causait en moi un profond malaise-. Elle ajoutait encore qu'elle pouvait se faire si jolie qu'elle le souhaitait elle restait infirme mais que malgré cela elle continuait d'espérer trouver une famille. Espérer? Ou voyait-elle de l'espoir en pareille situation? Elle était vraiment étrange, cette fille. Elle restait toutefois surprise de me voir dehors puisqu'elle pensait que je me laisserais mourir ou que je m'enfuirais. Elle n'avait pas tord d'ailleurs, c'était bien mon ambition au départ.
- Ouais... Ca... C'était mon projet, à la base, me laisser mourir dans ma cage. Mais une femme folle est venue et elle m'a acheté, du coup je me laisse mourir sur son canapé. C'est pas bien différent. Répondais-je.
Je constatais que malgré mon manque cruel de volonté, je parvenais toujours à être plus expressif qu'elle... Ce qui avait quelque chose de troublant. Un souvenir me revenait, celui de ce qu'elle m'avait fait écrire dans cette lettre pour laquelle elle avait demandé mon aide ce fameux jour où je lui avais demandé de ne plus me déranger.
- Tu veux vraiment trouver une nouvelle famille? ... Je pensais que tu attendrais ce gosse inlassablement... Sincèrement, quand j'ai écrit ta lettre, j'étais persuadé qu'il ne reviendrait jamais. Je le suis toujours, d'ailleurs. Mais t'avais l'air trop fragile alors je t'ai rien dit.
L'air fragile... En quelques sortes, elle ne faisait preuve d'aucunes émotions mais j'avais senti chez elle qu'elle avait besoin de s'accrocher à cet espoir pour vivre à ce moment... Et même si moi je veux crever je respectais la volonté de s'accrocher dont pouvaient faire preuve les autres... Enfin je crois.

Adelheid... Elle ne comprenait rien aux sentiments des autres, mais elle parvenait toujours par le plus grand des hasards à viser dans le mile. Encore une fois, elle venait de le démontrer. Je tâchais de ne pas lui faire comprendre que cela me touchait lorsqu'elle évoquait le fait de jouer avec la mort. Elle me disait d'arrêter cela juste après m'avoir dit qu'elle savait qu'elle ne pouvait pas attendre éternellement et ferait de son mieux pour mener à bien la mission que le maître qui la choisirait lui confierait. Elle... Attendait de moi que je fasse de même? Rien que l'idée me répugnait: je ne voulais pas accepter mon putain de destin et encore moins je me décarcasserais pour exaucer tous les désirs d'un type imbu de sa personne qui pense que sous prétexte qu'il a moins de poils, de plumes ou d'écailles -dans mon cas- que toi il peut te marcher sur les pieds comme bon lui semble et t'utiliser à sa guise. Je préférais encore attendre ma fin.
- Grand bien t'en fasse si tu veux accepter ça, Adelheid. Et pour ce qui est de jouer avec la mort... Je ne fais pas ça, tu vois, je ne joue ni avec la mort ni même avec ma vie... C'est elle qui se joue de moi.
En terminant ma punchline, je détournais le regard et m'apercevait que le vendeur avait fini par remarquer ma présence. Il venait dans notre direction, l'air furieux. Tiens, tiens, il était temps pour moi de prendre la fuite!
- Il faut que je file, je n'ai pas laissé une très bonne impression au vendeur! J'espère ne pas te revoir dans le coin la prochaine fois.
Avant que l'employé n'aie le temps de ramener ses grosses fesses grasses jusqu'à moi, je filais à l'anglaise direction... Je ne sais pas, moi... Un endroit où me changer les idées? Ces retrouvailles n'avaient pas particulièrement égayé ma journée.