ADELHEID ▬ A Doll can't smile... | END.

Si on voulait découper la vie d’Adelheid en parties, on pourrait la diviser en trois en commençant par sa naissance bien évidemment. Une naissance au sein de ce que l’on appelle une “ferme d’hybrides”. Un endroit où l’on fait naître de petits hybrides puis on les élève pour les revendre ensuite un prix d’or. La ferme où notre petite Heidi est née a cette petite spécificité qu’on l’appelle “ferme de luxe”. Les hybrides qui y sont “produits” sont soumis à des tests, calibrés, afin demain les parfaits domestiques de la Haute Société. Les espèces y étaient scrupuleusement choisis et les enfants qui n’étaient pas assez beaux revendus sous le manteau afin de ne pas entacher la réputation de ce lieu d’excellente. Le premier moment marquant de la vie de notre petite tourterelle, c’est sans aucun doute le moment où tout juste arrachée à sa mère on bande ses ailes pour borner leur croissance. Ses frères et soeurs subirent le même traitement, c’était une tradition en somme, un peu comme l’on faisait dans l’Antiquité pour modeler les crânes des bébés. Adelheid sait que cela lui est arrivé, mais elle était trop jeune alors pour s’en souvenir.

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C’est après plusieurs années d’une éducation stricte dont nous avons déjà évoqué les détails que l’enfant quitta le nid pour enfin être vendue et entamer la deuxième partie de sa vie. Les hybrides de sa qualité ne sont pas vendus en animalerie mais directement à la ferme -qui ressemblait en fait plus à un vaste château- sur rendez-vous. Tous les hybrides y étaient quotidiennement entraînés à leur futur métier en servant les propriétaires et les visiteurs. Monsieur Collins, son maître, n’avait pas prévu d’adopter une hybride d’à peine 14 ans lorsqu’il était arrivé à la ferme, c’était un riche trentenaire qui venait en quête d’une gardienne pour son fils unique, un enfant colérique depuis le décès de sa mère mais aussi et surtout malade et incapable de quitter la propriété. Cependant, alors qu’aucun des hybrides qui lui avaient été présentés ne lui convenait et qu’il s’apprêtait à quitter les lieux Collins vit la jeune Adelheid qui cueillait des fleurs dans le jardin. Son visage se noyait sous ses cheveux blonds alors qu’elle observait curieusement le visiteur. Allez savoir pourquoi, il avait décidé de lui donner sa chance.
C’est sans doute le calme olympien de ce doux ange qui avait eu raison des colères du gamin. Alors que toutes les autres nounous l’avaient grondé, n’étaient pas parvenus à obtenir raison de l’enfant, Adelheid se contentait de rester immobile et silencieuse jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il n’y gagnerait rien et ne se calme par lui-même, reniflant bruyamment puis s’essuyant le visage avant de s’excuser. Elle ne connaissait pas beaucoup de jeux et n’était pas très expressive mais elle avait déjà réussi à faire des miracles en quelques semaines. Elle resta au service des Collins pendant cinq ans. Durant tout ce temps, ses maîtres furent globalement très largement satisfaits de ses services, jamais monsieur Collins n’avais eu à lever la main sur elle, jamais il n’avait eut non plus de comportement déplacé. Il s’était effectivement pris d’une certaine affection pour la jeune femme mais il ne lui avait jamais imposé. Quant au petit, il grandissait et arrivait à un âge où il avait passé plus d’années de sa vie avec Adelheid qu’avec sa vraie mère, il ne se souvenait presque plus d’elle.
Pour le dix-neuvième anniversaire de son hybride, monsieur Collins l’avait amenée dans une boutique et lui avait demandé de choisir un bijou, celui qui lui plairait, et il lui achèterait. Heidi avait choisi une broche ornée d’une pierre verte sans trop savoir pourquoi, elle n’a toujours pas compris aujourd’hui mais cette couleur était celle des yeux de son maître.
Peu de temps après cet événement, un terrible incident vint bouleverser la vie d’Adelheid. Un incident qui marquera la fin de la deuxième partie, on ne peut plus radieuse, de sa vie. C’était un premier samedi du mois, en début de soirée. L’état de santé du jeune maître étant stable, il était de coutume pour la petite famille de s’offrir une sortie par mois afin de réhabiliter le garçon. Ce samedi-là, c’était une pièce de théâtre qui avait été choisie pour la sortie mensuelle! La pièce terminée, ils avaient tous trois rejoint la belle voiture flambant neuve de monsieur pour rentrer au manoir familial, qui était perché dans les collines, à l’extérieur de la ville. Ils ne se doutaient pas en entrant dans ce tunnel, que monsieur Collins franchissait chaque jour pour aller au travail, qu’ils n’en sortiraient jamais. Alors qu’ils étaient à peu près au milieu du tunnel, les adultes riant gaiement en discutant à ce qu’ils feraient une fois rentrés pendant que le jeune maître somnolait sur la banquette arrière, monsieur Collins appuya brusquement sur le frein. Un bruit énorme, une forte lumière, tout s’était passé si vite qu’Adelheid ne se souvenait de rien. Seulement qu’elle avait croisé ses bras devant son visage en criant et qu’ils y étaient toujours lorsqu’elle avait rouvert des yeux. Elle ne se rendit pas tout de suite compte qu’ils étaient lourdement brûlés et maculés d’éclats de verre du pare brise qui s’était brisé sur elle. Le maître! Elle s’était immédiatement tourné dans sa direction… Cette vision qu’elle avait eu la tourmentait encore aujourd’hui. Dans l’explosion, le toit du tunnel s’était en partie effondré et l’un des morceaux écrasait le coté conducteur de la voiture, entre les débris en tout genre Adelheid pouvait voir le visage ensanglanté de son maître.
- Heidi… Articulait-il du mieux qu’il pouvait.
Elle essaya de le dégager du mieux qu’elle pouvait mais ses bras meurtris ne répondaient plus. Le moindre mouvement était une douleur infernale, et pourtant elle continuait d’essayer, s’écorchant encore davantage.
- Prend Ricky… Fit Collins d’une voix plus faible. Fuyez...
Le visage d’Adelheid se couvrait de larmes, elle ne voulait pas abandonner mais seule elle ne pourrait rien faire pour lui. Il fallait se rendre à l’évidence… N’écoutant pas la douleur dans ses mains, elle tenta d’ouvrir sa portière mais quelque chose devait la bloquer de l’extérieur… Elle escalada alors son siège, se cognant la tête à ce qu’il restait du toit, pour rejoindre l’enfant à l’arrière. Il ne semblait pas avoir de blessure grave de prime abord. Avec tout le mal du monde, elle défonça la portière arrière de la voiture à en la frappant à plusieurs reprises du pied puis chargea l’enfant sur son épaule pour quitter la voiture. A peine eut-elle fait quelques mètres hors de la voiture que le destin décida de s’acharner: une explosion, des voitures pleines d’essences, un départ de feu non loin… La voiture de Collins disparut une bonne fois pour toutes dans les cris et les larmes d’Adelheid. Elle erra quelques instants dans ce chaos avant que les secours n’arrivent pour prendre en charge les blessés. Elle découvrira plus tard dans les médias que cette explosion qui avait coûté la vie à monsieur Collins était du fait d’un groupe de rebelles violents. Le jeune maître se tira par chance plutôt bien de cet incident mais, suite au décès de son père, il devait partir vivre chez sa seule famille vivante: la tante Martha qui vivait sur Terre…

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Ce nouveau chapitre commençait d’une façon bien sombre. A l’hôpital, Adelheid refusait les soins et la nourriture, elle n’avait plus le goût à la vie, et c’était d’autant plus dur qu’elle ne savait pas mettre des mots sur ce qu’elle ressentait. Ses bras étaient devenus inutilisables: même si les médecins parvenaient à reconstruire sa peau brûlée il y avait de fortes chances que leur capacité de mouvement ne revienne jamais, surtout au vue des nombreuses plaies plus ou moins profondes causées par les débris de verre projetés. Elle n’avait pas dû aider non plus en forçant sur ses bras déjà blessés… Et ne pas vouloir se soigner ne l’aiderait pas non plus à retrouver sa motricité… Les médecins, pourtant grassement payés par la tante Martha -qui estimait devoir quelque chose à la jeune fille qui avait sauvé Ricky-, commençaient à songer qu’il vaudrait mieux abandonner et donner une fin propre à la vie de cette hybride devenue inutile lorsqu’un sauveur fit son apparition. C’était un homme qui, avec une petite équipe, mettait au point des prothèses spécialisées pour les hybrides infirmes. Il cherchait justement ses premiers sujets d’étude et son choix se porta sur Adelheid. Une hybride si belle, on ne pouvait pas la jeter alors qu’il y avait des solutions pour la réparer! Heidi fut amenée dans un endroit avec d’autres hybrides. On lui posa alors ses premières prothèses, puis on la laissa vivre avec les autres hybrides dans une grande maison. Parmi les premiers sujets d’étude, deux moururent suite à des rejets et un autre en essayant de s’enfuir. Ils furent rapidement remplacés. On essaya plusieurs prototypes du la jeune tourterelle, à la fin c’était plus des questions de design que de vrais tests scientifiques. Parmi les autres hybrides de l’étude, elle se rééduquait toute seule. Elle fut la première à se préoccuper, par exemple, de la propreté de la maison qu’on leur avait donné, les autres préféraient s’exercer à retrouver leur motricité et faire du sport que le ménage. Il fallait dire aussi que la majeure partie étaient d’anciens soldats.
Il y en avait un qui était différent: Siegfried. Lui, il n’avait pas l’air de vouloir faire d’effort. Il restait dans son coin à ne rien faire, comme si il attendait son heure. Sans qu’elle ne comprenne, ce garçon rappelait à Adelheid la version d’elle qui attendait sa fin dans sa chambre d’hôpital. Heidi pensait que ce n’était qu’un semi-rebelle qui ne voulait pas accepter sa captivité. C’est en le voyant essayer d’écrire, un jour, qu’elle décida de faire un pas vers lui… Plus par besoin que par envie: le jeune maître lui avait laissé une lettre en partant, et elle voulait désespérément lui répondre mais ses nouvelles mains ne lui permettait pas encore de gestes aussi précis que l’écriture. Lui avait encore une main valide. Elle essaya donc de lui demander de l’aide. Il avait commencé par refuser puis il avait fini par accepter à condition qu’elle lui “foute ensuite la paix pour le restant de ses jours”. Ce qu’elle fit ensuite. De toute façon elle n’était guère bavarde.
Après deux ans, les tests étaient concluants et les participants étaient suffisamment bien rééduqués physiquement pour reprendre leur vie d’esclave. Un contrat avec l’animalerie permettait à la poignée de survivants d’être placés en cage pour y attendre leur prochain maître. Une première pour Adelheid. Même si la nourriture était mauvaise, la douche froide et la cage étroite, elle acceptait son sort et attendait avec patience. Cela fait plusieurs mois maintenant et elle a toujours la même patience… Comment fait-elle? C’est une poupée, je vous l’ai dit!

Alors, serez-vous demain l’élément déclencheur qui marquera le début de la quatrième partie de l’histoire d’Adelheid?