Transactions [PW Aria]

Ame regroupa ses cheveux en une queue de cheval, lui donnant un air presque guerrier -si on omettait sa peau diaphane à la lumière des lampadaires. Sa silhouette claire se détachait dans l’obscurité de la nuit mais cela lui importait peu. Il n’y avait rien de plus suspect qu’une personne habillée de noir de la tête aux pieds, surtout avec son gabarit. Non, comme toujours, il songeait que la meilleure façon de ne pas retenir l’attention était d’être quelconque ; une silhouette que l’on avait l’habitude de voir déambuler à toute heure…

Il jeta un rapide regard aux alentours.
Personne.
La pluie tombait avec un acharnement irritant mais il n’avait plus le luxe de retarder le rendez-vous. Il lui fallait se dépêcher.

Les rebelles visaient cette fois l’avenue du Clair de Lune, mus par la nécessité toujours croissante d’améliorer leur condition. Car sans argent, pas d’armes, pas de nourriture, pas de médicaments. Et quelques derniers événements n’avaient fait qu’accroître leur impatience…
Alors Ame était allé vendre ses talents dans cette avenue. Sa petite notoriété avait su trouver l’oreille naïve d’un des riches habitants qui lui avait alors commandé un portrait et quelques idées d’agencement pour leur jardin. Il n’avait pas refusé cette occasion en or d’établir un plan précis des lieux. Et c’étaient ces plans qu’il devait remettre aux rebelles ce soir…


L’hybride qui lui faisait face était croisé avec un chat, au vu de ses oreilles ; Ame eut un discret sourire, qu’il eut vite fait de cacher quand il croisa le regard ambre de son interlocuteur. Un regard froid, droit, calculateur et donc foutrement dérangeant.
Les rebelles n’étaient pas dirigés par un unique chef mais fonctionnaient en groupuscules ; et certains étaient connus pour leur manque de… retenue. Celui qui lui faisait face était de ce genre-là. Et malheureusement, plus le groupe avaient un penchant violent, et plus ils payaient cher les informations d’Ame. Il déglutit.


Il avait ponctué cette dernière phrase d’un geste du menton vers un de ses sbires, qui s’avança, une enveloppe en main. Ame ne vérifia pas le contenu. Ça aurait pu être mal interprété…

La transaction semblait s’être bien déroulée. Ne restait plus qu’à quitter le coupe-gorge pour regagner la lumière chaleureuse des lampadaires. Ame avaient les mains moites d'appréhension.

Et merde.
Ame, bien qu’en apparence calme, paniquait et peinait à déterminer la marche à suivre. Ils avaient choisi un coin à l’écart aussi qu’une personne s’en vienne à eux… c’était forcément suspect. Le poulpe jetait donc des regards furtifs autour, cherchant une issue de secours au cas où ses doutes deviendraient réalité –mais l’idiot avait oublié qu’ils se trouvaient dans un cul de sac.

Et merde merde merde.
A peine avait-il eu le temps de paniquer que son client se retrouvait déjà au sol, l’air hagard. Au moins il était encore vivant. Ame releva les yeux vers son opposant. Etait-ce un hunter ? Il n’en avait encore jamais croisé, mais comment penser qu’une unique personne puisse gérer trois hybrides en pleine possession de leurs moyens ?
Car ce n’était pas son accoutrement qui allait tromper son œil observateur ; sous ce sweat se cachait soit un jeune garçon, soit une fille. Ces doigts qu’il avait eu le temps d’entrevoir étaient trop fins, sans parler des inflexions de sa voix…

Enfin cela ne changeait rien pour lui, même un gamin arriverait à le maitriser.


Cette personne à le regarder ainsi… elle ne devait pas avoir noté la présence du troisième hybride, le sbire du chat, qui se tenait dans les ombres d’un des bâtiments. Ame sourit, l’air aussi avenant que sa peur lui permettait, en se plaçant tout à fait face à elle.
Autant essayer de ne pas écourter sa vie, hein ?


Puis il y eut un mouvement derrière la hunter ; le sbire avait choisi de l’attaquer, ne pouvant compter sur un poulpe. Ce n’était pas plus mal pour lui.
Ame fit volte-face, prêt à fuir. Et tant pis pour l'autre. Ses mains étaient trop délicates pour se battre.

Il fallait bien se l'avouer, cette Hunter avait une élégance terrible.

Ame gémissait, écrasé sous le poids de l'autre hybride qu'on lui avait balancé sans sommation ; avec sa frêle carrure, il n'avait guère fait un bon amortisseur et en éprouvait douloureusement les conséquences. De premières larmes lui étaient venues, qu'il essayait tant bien que mal de refréner.

Sois un homme, sois un homme, sois un homme...

Il se dégagea difficilement : après de longs et pénibles efforts, il réussit à pousser le corps inconscient de côté. Il pouvait enfin respirer. C'est à ce moment qu'il vit le visage de son adversaire -enfin son bourreau- et qu'il se fendit d'un rire nerveux. Ce visage, il le connaissait bien, comme tous les rebelles ; après tout, c'était une des rares femmes hunter avec un tableau de chasse aussi irréprochable.
Mais au fond, il éprouvait une coupable satisfaction qu'une si populaire personnalité l'ait appréhendé, lui pauvre hybride même pas foutu de se battre. Marty serait sans doute du même avis. Quitte à échouer, autant que ce soit avec classe et par quelqu'un de respectable.


Soupira-t-il, en portant une main à sa côte douloureuse. Il gémit. Jura. et gémit de nouveau.


Cassée. C'était la droite. Panique. Des larmes de souffrance et de désarroi lui échappa. Et puis merde, tant pis pour les apparences. Il était... fini. Son regard brillant chercha celui de la hunter.


Et il resta là, allongé sur le sol encore humide, sans se soucier de... tout.

Le combat avait éparpillé leurs affaires, si bien que le carnet qu''Ame était actuellement exposé à l'humidité ; les dessins s'effaçaient doucement en de longues traces noires. Ses heures de travail disparaissaient bien facilement.

Un escargot. Il se sentait comme un escargot un peu téméraire, un peu fou, qui, attiré par la pluie, aurait osé s'aventurer en terres dangereuses... Et qu'une passante aurait nonchalamment écrasé sous son talon. Il n'avait aucune foutue idée de ce que cette hunter allait faire de lui ; après tout, il était encore trop peu connu dans le milieu et la seule preuve de son crime venait d'être effacée par l'eau.
Peut-être qu'il s'en sortirait au final.
Il pourrait bien balancer les deux autres qui s'étaient fait attraper. Non pas qu'il soit dépourvu d'esprit de solidarité mais en toute franchise... Il s'en fichait bien si ça lui permettait de sauver sa peau.


Il désenchanta rapidement. Il fallait à tout prix éviter l’hôpital.


Il laissa entendre un soupir las. Quand il avait rejoint les rebelles, ce ne fut pas par esprit d'aventure, par envie de pimenter sa vie trop tranquille ou pour voir une gamine défoncer trois hommes en pleine santé. Il avait voulu aller au centre des émotions de cette ville et s'approcher de ce pivot, qui pourrait faire basculer le quotidien de tous ses habitants.
Alors que faire maintenant ? L'idée même de se faire attraper ne l'avait jamais effleuré. C'est donc un regard perplexe qu'il tourna vers la jeune hunter.


Non pas qu'il se soucia réellement de sa santé ; c'était à la fois par égard pour Marty, qu'il n'ait pas à s'occuper d'une hunter, et à la fois un simple constat. Il se releva donc péniblement, faisant face à la jeune femme qu'il dominait d'une bonne tête.